Sur « La Ballade des hommes-nuages »

Une lecture de Jean-Marie Corbusier

Extraits d’un article paru dans Le Journal des poètes, 2 / 22

Il y a, à certains moments, comme un dérèglement de la phrase, des saccades, les mots se séparent laissant entre eux des blancs aux grandeurs souvent égales, mais le tout reste lisible, serait-ce là une image de la « maladie », être dans le régulier et l’irrégulier à la fois, dans l’attendu et l’inattendu, dans une perte où tout reste visible à très peu de chose près.

Michèle Finck est à la recherche du mot qui manque, avec son obsession et sa magie, celui qui pourrait guérir, à la recherche d’un mot fort capable de soulever le réel et de restituer un ordre perdu : Qui a mot   a pouvoir. Le mot est une énergie, on s’en remet à lui dans un désespoir qui cependant demeure lucide, une prière que l’on adresse au monde des vivants, un possible encore. Les paroles se gagnent l’une l’autre, paroles dures, drues qui battent les flancs du blanc sans concession, volontaires.

Le mot qui manque, le mot de la peur imprononçable, celui de la présence-absence, rend le poème parfois désordonné à son ordre. Et pour ce faire, l’auteure limite le mot à son essentiel, au son qui en fait nous renvoie au seul langage parlé, celui qui a effet sur l’autre, celui que l’on peut dire, voire crier, celui par lequel nous sommes entendus directement : homme devient om. […]

Ce recueil est une belle construction où alternent des poèmes aux structures différentes, avec des mots en caractères gras, en italique, poèmes très courts, plus longs, entrecoupés du Carnet d’hôpital avec un échange entre (la voix du médecin) et (la voix du malade). Des poèmes depuis l’horizontalité jusqu’à la verticalité assurent une mise debout du recueil. […]

À certains endroits du recueil, la musique est bien présente comme partie prenante de l’être et peut-être plus la musique intérieure quand l’instrument a disparu. Poésie et musique se sont alliées comme pour trouver par deux langages réunis le mot qui manque. Michèle Finck nous fait plus qu’une description de la maladie, il s’agit de vivre avec elle comme si elle était une autre face du monde où la raison n’est pas absente mais différente. Poèmes de douleur, de tendresse sans révolte, une acceptation et toujours devant soi le guide du mot qui manque, le sauveur et son énorme pouvoir.

Livre dense, compact, lançant des éclairs dans plusieurs directions du temps et de l’espace, assurant une liaison entre le proche et le lointain, la question et la réponse ou l’absence de réponse. Recueil pour une lecture lente, riche, multiple, humaine, recueillie comme une Nuit transfigurée où les échos des vers se répondent comme un vaste concerto où la soliste est en même temps chef d’orchestre. La Ballade des hommes-nuages, un appel à l’humanité, à proscrire l’exclusion et à considérer la maladie mentale comme partie du monde, à dialoguer avec elle, autre réel présent.