Sur « Sur les rives de Tibériade »

La lecture de Pierre Tanguy

Extraits d’un article paru dans Diérèse en septembre 2022

Qui connaît vraiment Rachel Blaustein – dont le nom d’auteur fut simplement Rachel – née en 1890 en Russie et décédée en Israël en 1931 ? Il faut donc saluer ici la volonté des éditions Arfuyen de faire sortir d’une forme d’anonymat cette poétesse au lexique « essentiellement biblique », comme l’affirme son traducteur Bernard Grasset, et profondément marquée par le tragique de la condition humaine. […]

Sa vie fut courte. Elle fut aussi chaotique. Fascinée par la Terre sainte où elle se rend en voyage à 19 ans, Rachel y apprend l’hébreu, s’initie au travail agricole puis gagne la France en 1913 pour y entreprendre – à Toulouse – des études universitaires d’agronomie. Elle est contrainte, en raison de la guerre, de regagner la Russie en 1916 où elle se met au service d’enfants pauvres de réfugiés. Mais elle contracte la tuberculose et, avec la maladie, naît l’écriture. En 1919, elle rejoint un kibboutz israélien et écrit ses premiers poèmes. Contrainte de quitter son travail à cause de sa maladie, elle rejoint Tel-Aviv en 1925 où elle décède six ans plus tard. […]

Le livre intitulé Sur les rives de Tibériade rassemble des poèmes épars de Rachel, un choix de lettres ainsi que des articles rédigés entre 1926 et 1930 et publiés dans différents journaux ou revues littéraires. Dans ces articles, Rachel parle beaucoup de poésie et de littérature. Elle dit, par exemple, son admiration pour les œuvres de Francis Jammes ou son attachement à l’œuvre de François d’Assise (dont la custodie franciscaine de Terre sainte, estime-t-elle, a trahi l’esprit du moine italien). […]

C’est cette simplicité que l’on avait déjà trouvé dans les précédentes oeuvres de Rachel éditées par Arfuyen (Regain en 2006, De loin suivi de Nébo en 2013) et que l’on retrouve ici dans 30 poèmes épars écrits entre 1920 et 1930. Ainsi de ce poème dédié à Anne Meizel : « Toi, sous l’arbre, tu te tiens/Et moi sur une branche, comme un oiseau ;/À la cime argentée d’un olivier/Nous taillons les branches noircies ».

Bernard Grasset ne manque donc pas de souligner chez elle sa «fascination pour la nature », son écriture « familière du silence » et placée sous le signe de la « sobriété » ou de « l’expérience de la souffrance » (ainsi de ce poème écrit à l’hôpital). Une invitation à lire Rachel, considérée aujourd’hui comme une fondatrice de la littérature hébraïque moderne.