Le mot de pauvreté

Préface de Jean-Luc Nancy

Le mot de pauvreté : titre étrange. Qui d’emblée récuse le jeu illusionniste de l’écriture et consent à donner le poème pour ce qu’il est : fait de mots, seulement de mots – même si les plus lumineux. Et qui d’emblée récuse l’idée même de tout accomplisse-ment par les mots : les mots ne sont à proprement parler que pauvreté. Il n’y a en eux de richesse, de plénitude que pour autant que nous nous aveuglons.

Dire donc cette pauvreté inhérente aux mots, et rien de plus : « il n’y a rien à dire de plus / que ce qui manque par-dessus tout // si quelque chose est vrai / c’est la pauvreté. » Car il n’y a de parole vraie que celle qui consent sa propre pauvreté : « la pauvreté est une conscience / sans prétention » Qui renonce à feindre, à briller. Qui laisse les choses être ce qu’elles sont : « un mot de pauvreté ne construit rien / par-dessus le vide / qui fait peur // sinon ce serait abandonner / la pauvreté »

Car les choses ne sont rien que l’on pourrait dire : « tout le travail est de / comprendre que rien n’est pas une idée / rien n’est rien d’abstrait » Les choses ne sont que les choses, si pauvres que nous ne savons rien en dire et qu’incapables de faire face à ce rien nous en faisons une idée : « ni échec ni succès : une langue / pauvre ne serait plus dupe d’elle-même // (celui qui parle en croyant / ce qu’il dit / croit en la richesse) » Mais voulons-nous vraiment comprendre? On dirait que sans cesse « la pauvreté s’éloigne // nous / entretenons / les clôtures ».

Né en 1986, Paul Laborde a déjà derrière lui une riche expérience littéraire : un premier livre aux éditions Cheyne, suivi de trois autres ; la création d’une ambitieuse revue, Conséquence, autour de la relation entre l’écriture et la vie, avec des textes de Badiou, Rancière, Nancy, du Bouchet, Demangeot et Bernard Noël.

Ce livre d’un seul tenant témoigne d’une relation peu commune avec les mots et avec le monde : l’exigence de lucidité y est radicale, l’écriture dépouillé de tout artifice, y compris celui du dépouillement. Austérité, rigueur. Mais surtout une grande douceur, une étrange limpidité. Ici la philosophie et la poésie procèdent d’une même écriture, qui ouvre un vaste espace nouveau. Le philosophe Jean-Luc Nancy (1940-2021), compagnon de pensée de Jacques Derrida et de Philippe Lacoue-Labarthe, a donné peu de temps avant sa mort à Paul Laborde une éclairante préface.

     Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 112 pages – ISBN 978-2-845-90349-4 – 14 €