Dans le préambule de l’édition indienne de l’Uttara Gîtâ (le Chant Ultime), il est fait rappel de ce que « tout le monde sait par cœur » : l’enseignement qu’Arjuna reçut de Krishna, lors de la guerre des Bhârata. Arjuna, désemparé de découvrir ses proches dans les deux armées opposées, était plongé, nous dit encore le préambule, dans un état de «confusion opaque », et Krishna n’eut de cesse de lui transmettre la « Connaissance » jusqu’à ce que le héros, affalé sur le sol, retrouve peu à peu ses esprits et se relève, enfin prêt à combattre.
Mais le temps a passé : cinq ans ? dix ans ? vingt ans ? « Beaucoup de temps », nous est-il dit. Nous n’apprenons rien de la vie qui fut sienne, rien n’évoque son devenir après l’immense bataille qui fit trembler la terre sur ses bases. Il est elliptiquement mentionné que le tourbillon de la vie riche en expériences et la nécessité des actes à accomplir ont estompé, dans la mémoire d’Arjuna, les paroles de Krishna, entendues jadis.
Ce que cherche Arjuna, ce n’est pas à se remémorer un savoir qui serait le viatique idéal pour traverser sans encombres l’illusion de la réalité, pour éviter les pièges du monde créé par Mâyâ. Ce n’est pas la recherche de l’Absolu qui le taraude, c’est le désir d’éprouver, ou de rejoindre ou d’atteindre, dans son être, ce pour quoi il n’existe aucune définition, mais seulement des prête-noms.
Krishna disait déjà à Arjuna, bien des années auparavant, lors du mémorable conflit fratricide de la Bhagavad-gîtâ : « Les Veda ont pour objet la nature des choses, / reste en dehors de ces objets, Arjuna, (…) / Sois simplement ce que tu es. »
La non-dualité n’est pas plus le néant que la dualité n’est le réel. Qu’apprendre que nous ne sachions déjà, non par ardeur de connaître, non par intuition ou Révélation, mais par conscience immédiate, par simple regard ? Et si nous avons oublié les mots qui avaient orienté nos émotions vers une langue intelligible, d’autres mots à nouveau surgiront pour à leur tour s’attacher à polir, de leur musique, la transparence.
OUVRAGES PUBLIÉS AUX ÉDITIONS ARFUYEN