Je, tu, il

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Par leur diversité comme par la grande intégrité de leur travail, les lauréats du Prix Jean Arp de Littérature Francophone  expriment mieux qu’aucun manifeste l’orientation de ce Prix pas comme les autres : en 2004, Jean Mambrino (France) ; en 2005, Henri Meschonnic (France) ; en 2006, Marcel Moreau (Belgique) ; en 2007, Bernard Vargaftig (France) ; en 2008, Anise Koltz (Luxembourg) ; en 2009, Pierre Dhainaut (France) et en 2010, Denise Desautels (Québec).

Rappelons que ce Prix est depuis l’origine parrainé par le Ministère de la Culture/DRAC Alsace et par l’Université de Strasbourg. Le Prix Jean Arp de Littérature Francophone 2011 a été attribué à l’écrivain franco-suisse Valère Novarina pour l’ensemble de son œuvre de dramaturge, metteur en scène, essayiste, poète, peintre et photographe.

La remise du Prix a eu lieu le 31 mars 2012 dans le cadre des 7es Rencontres Européennes de Littérature, organisées en association avec la Ville, les Médiathèques et l’Université de Strasbourg. À cette occasion, une exposition de peintures et de dessins sera organisée à la Galerie Chantal Bamberger.

L’histoire du texte théâtral ici publié est complexe comme celle de nombreux textes de Novarina, véritable artisan du langage. À l’origine, le compositeur Michaël Levinas propose à Novarina d’écrire les paroles d’un opéra à partir de La Métamorphose de Kafka. Au lieu d’un livret, Valère Novarina écrit un court prologue qu’il intitule Transfiguration. Puis le chantier prend un nouveau titre : Je tu il, et se développe. En mars 2011 l’œuvre est créée à l’Opéra de Lille – précédée d’extraits de Je tu il de Novarina. Mais, le texte continue de croître et de se métamorphoser : huit passages figureront dans Le Vrai sang (P.O.L) et trois dans le spectacle créé à partir de ce texte au théâtre de l’Odéon en janvier 2011.

C’est ici la version intégrale de Je, tu, il qui est publiée. Citons en l’extrait reproduit en quatrième de couverture, où s’expriment d’une même voix les trois personnages du texte: « Sur scène, s’opère publiquement et en langues visibles le retournement du sens commun : en aucun lieu au monde nous ne venons autant désadhérer. Et quitter la cause humaine. Et voir l’animal parler. » Voici bien le propos du théâtre selon Novarina : une ascèse, un sacrifice. Et cela est si vrai que Je, tu, il évoque longuement dans son texte le récit biblique sacrifice d’Isaac.

Novarina aime à déconcerter, à décontenancer, à désarçonner son lecteur ou spectateur. Sans cesse il se situe sur l’étroite ligne de crête entre Maître Rabelais et Maître Eckhart. Et, merveilleuse coïncidence, dans cette suprême liberté de l’esprit et de l’écriture, il retrouve toutes les audaces du poète-peintre dadaïste strasbourgeois Jean Arp.

Pour bien comprendre le sens profond de sa méditation, il faut, en effet, se référer à l’un de ses derniers essais, Devant la parole (POL, 2010) : « Il y a, écrit-il, en toutes choses, au centre, le creux de cette place muette, la prière : le lieu, en chacun de nous – en tous lieux et ici –, d’une détresse sans sujet et d’une joie sans raison. De toutes nos activités mentales, la prière est la seule qui comprend la mort. C’est un arrêt de la parole lié à la vue du sang. C’est, dans la pensée, l’offrande de la pensée, sa destruction et son oui. Le oui d’une pensée immobile en nous comprend la mort. La prière est la plus violente de nos activités mentales puisqu’elle comprend le sang qu’il y a dans la parole. »

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2012 – ISBN 978-2-845-90169-8 – 10 €