La lecture de Françoise Han
Extraits d’un article sur Le Hameau des roseaux paru dans Europe en mars 2002
Avec cet ouvrage bilingue très soigneusement établi, pourvu d’une biographie et d’une bibliographie, l’éditeur et les deux traductrices nous donnent accès à un poète né près de Hué en 1912, mort de la lèpre à vingt-huit ans. Han Mac Tu est son pseudonyme littéraire, son vrai nom étant Nguyen Tran Tri.
Une édition récente (Hanoï, 1997) a réuni l’œuvre complète, en partie dispersée dans des revues. Avec celle de La Douleur d’aimer (Ho Chi Minh Ville,1995), elle a servi de base à la traduction, qui nous permet ainsi de suivre l’évolution poétique et le cheminement spirituel de Han Mac Tu.
Les premiers poèmes sont classiques dans la faune et dans les thèmes. Ensuite, un recueil publié à compte d’auteur, en 1936. La Jeune Fille du village marque une évolution vers la « Nouvelle Poésie », mouvement apparu quelques années plus tôt. Mais cette année est aussi celle où la lèpre se manifeste. La poésie de Han Mac Tu se libère alors de toutes conventions en des textes qu’il appellera d’abord Poésie folle avant de changer ce titre en La Douleur d’aimer. Si la première partie, « Le parfum », commence dans une respiration calme qui investit la nature tout entière – « La lune et les étoiles se plongent dans une brume paie / Comme pour recevoir, venue de loin, l’idée du poème » – et chante l’amour, le désir tendre, les derniers vers laissent pressentir les deuxième et troisième parties, « L’amertume » et « Le sang en délire et l’âme folle ».
De poème en poème, le poète et la lune mènent une sarabande hallucinée qui conduit l’astre à la chute, au suicide dans le puits. On pourrait voir dans la lune l’âme du poète, mais, plus loin, il plonge son âme déchaînée dans une flaque de lune paisible. Les images n’ont plus souci de retenue
Toute ma bouche n’est que lune
Mon cœur est plein d’innombrables belles jeunes filles
Je crache et voilà c’est une jeune fille
Devant elle les nuages se figent l’eau se pâme
Les étoiles s’abattent sur le faîte ivre des forêts
Ces poèmes d’une beauté tragique, « lancés sur l’irréalité du monde », Han Mac Tu va les regarder comme des fautes et songer à les détruire quand la lecture des Écritures saintes nourrit, dans sa réclusion de lépreux, une nouvelle inspiration. Chrétien depuis l’enfance. il trouve un apaisement dans les poèmes mystiques du Printemps idéal. On y remarque le caractère syncrétique de sa dévotion à la Vierge Marie qui est aussi la Mère de l’Ouest des taoïstes et la Quan Am bouddhique.
Le même apaisement porte les vers de Harmonie suprême que Han Mac Tu, se sachant prés de la mort, réunit à l’automne 1939. On y trouve le poème « Voici le hameau des roseaux » qui a donné aux traductrices le titre de l’ouvrage : il exprime un rêve de retour mêlé au présage de l’adieu.