1000 poèmes, 4000 vers résonnant en un unique chant pour dire l’essentiel, l’insaisissable, Ce qui n’a pas de nom. Résonnant avec les paysages, les musiques, les peintures, les souvenirs. Pour dire, dans le scintillement des couleurs, le mystère en pleine lumière. Comme les feuillages infiniment miroitants de Klimt (en couverture).
Inaugurée avec trois textes aussi divers que Faux (1975), Les chiens battus (1977) et Aventures (1979), l’écriture de Gérard Pfister n’a cessé d’être une mise en question du langage et de notre présence au monde.
Marquée depuis l’origine par la radicalité artistique de Dada et philosophique d’Eckhart, elle s’est efforcée, dans le sillage de Rilke, de conjuguer, dans des formes toujours nouvelles, le souffle avec la vision, la musique avec la pensée.
À une époque où le langage est devenu le champ de toutes les manipulations et aliénations, l’homme a plus que jamais besoin d’une parole pleine et dense, consciente de ses pouvoirs comme de ses limites, capable de nous rendre à nous-même et de rétablir un juste contact avec le monde.
Après le triptyque de La Représentation des corps et du ciel (Le grand silence en 2011, Le temps ouvre les yeux en 2013 et Présent absolu en 2014), après Ce que dit le Centaure mettant en scène le Temps, le Songe et le Chant, c’est une méditation plus ambitieuse encore qui est ici proposée au lecteur.
D’emblée le propos en est posé par l’épigraphe de Lucrèce : « Tu parais, et les vents, les nuages du ciel / à ta venue s’enfuient, sous tes pas la terre / brode de tendres fleurs, le miroir de la mer sourit, / et le ciel apaisé brille d’une lumière immense. » De quelle apparition s’agit-il ? Celle qui se révèle à nous dans la vie de chaque instant, dans le mouvement des formes, des couleurs, des significations.
De tout cela que voyons-nous, que comprenons-nous ? « Tout est tellement incompréhensible », écrivait Etty Hillesum devant le lupin violet éclos dans le camp de Westerborck. « Le poème, indique une courte préface, serait cette parole plus fluide que l’eau, plus rayonnante que la lumière, qui saurait de toutes choses ne faire sentir que l’apparition, le chatoiement, ce qui toujours semble ici et qui n’a pas de nom. »
Comment atteindre à cette parole pour qu’aphorisme et lyrisme, pensée et musique ne fassent plus qu’un ? À travers 1000 poèmes de quatre vers, indépendants et vibrant ensemble. 4000 vers, ouverts à la puissance de la nature et de l’alchimie des grands maîtres de la lumière, de Titien à Monet, en passant par Giacometti, Bill Viola ou Lee Chang-Dong. En toile de fond, la lagune de Venise, comme une métaphore occidentale du « monde flottant » d’Hokusai ou du « royaume coloré des êtres vivants » de Jakuchu.
♦♦♦ Lire les articles d’Alain Roussel et Marc Wetzel
Coll Les Cahiers d'Arfuyen – 2019 – 384 p – ISBN 978-2-845-90287-9 – 19,5 €