Janvier 2020

La fille de Louis et Rebecca

« En 1985, lorsque je reçus de l’éditeur néerlandais du journal d’Etty une demande d’autorisation pour la publication de ces textes, le nom de ma cousine était enfoui, je l’avoue, dans ce profond secret où l’on garde les souvenirs les plus douloureux d’une vie. Toute ma famille hollandaise avait été exterminée dans les camps nazis. Des dizaines d’oncles et de tantes et de cousins, connus ou inconnus, dont je n’entendrais plus jamais parler.»

C’est en ces mots que notre cousine Liliane Hillesum, seule survivante de la famille d’Etty, raconte comment elle a découvert les journaux et les lettres laissés par sa parente. Son grand-père Mozès, né à Amsterdam en 1872, s’était engagé en 1914 dans la Légion étrangère et, gazé par les troupes allemandes, était mort en 1921, en laissant un seul enfant, Joseph né en 1897. Quant à Louis Hillesum, frère cadet de Mozès, il avait eu trois enfants : Micha, Etty et Jaap.

« Avant la guerre, nous avions souvent eu la visite à Paris de l’oncle de mon père, Louis Hillesum, accompagné de sa femme Rebecca et de leur fils Michaël. […] Ils logeaient tous trois chez nous, mais, autant que je me rappelle, les deux aînés, Esther, dite Etty, née en 1914, et Jacob, dit Jaap, né en 1916, sans doute déjà indépendants de leurs parents, ne sont jamais venus à la maison. C’est ainsi qu’avec Etty nos destins ont été quelque temps assez proches sans que jamais nous ayons l’occasion de nous rencontrer. »

Pourquoi raconter cela ? Pour expliquer combien la découverte de l’œuvre d’Etty a pu marquer la démarche des Éditions Arfuyen. En 1985, les Éditions existaient depuis dix ans et avaient déjà publié plusieurs textes spirituels, essentiellement en lien avec la mystique rhénane. Avec la lecture des Journaux et des Lettres, le champ de cette recherche s’ouvrait d’un coup davantage encore, tant dans le domaine littéraire que spirituel.

Faire partager plus largement cette lecture – et notamment par de jeunes lecteurs –, tel est l’objet de cet « Ainsi parlait » consacré à Etty Hillesum. Car les journaux et les lettres d’Etty étant étroitement liés au plus quotidien de sa vie, il n’est pas toujours aisé d’aller à l’essentiel de son message. Et il faut aussi faire entendre sa voix, dans cette langue néerlandaise à bien des égards si proche du moyen-haut allemand de Maître Eckhart.

Puisse cette lecture éclairer notre année, lui communiquer cette force et cette beauté qui, jusque dans les pires situations, ne cessèrent jamais d’accompagner Etty. « La force essentielle, écrivait Etty, consiste à savoir jusqu’au dernier instant que, même si l’on doit mourir misérablement, la vie est riche de sens et belle, qu’on a tout réalisé de ce qui était en soi-même et que la vie était bonne telle qu’elle était » (5 juillet 1942).