Sur « Ainsi parlait Maeterlinck »

La lecture de Christopher Gérard

Extraits de l’article sur Ainsi parlait Maeterlinck paru dans Archaïon le 10 mars 2022

[…] Il y a de l’homme baroque dans l’unique Prix Nobel de littérature que la Belgique ait eu, et dont les pièces sont encore jouées un peu partout dans le monde. Les éditions Arfuyen, dans leur élégante collection Ainsi parlait  (Yeats, Leopardi, Bernanos, tant d’autres), ont eu la bonne idée de confier la mission de mieux faire connaître Maeterlinck au poète, éditeur et médecin Yves Namur.

Le résultat ? Quatre cent quarante-sept « dits et maximes » tirés d’environ cinq mille pages de lecture attentive, quasi « bénédictine », et qui retracent le portrait d’un homme en qui coïncidaient les contraires. Maeterlinck se révèle très belge en ce sens que ce Gantois exprime en français – et quel français, d’une belle fermeté – un ancrage germanique, inspiré par Novalis et Ruysbroeck l’Admirable, qu’il traduisit. […]

Ce qui frappe à la lecture de ces « dits et maximes », c’est la fermeté de la langue et son extrême densité : « Je désire le Verbe, nu comme l’âme après la mort, pour dire l’Énigme dénuée de substance et de lumière dans sa splendeur intérieure. »

Novateur sur le plan esthétique et même précurseur de surréalisme (la brutalité en moins et la subtilité en plus), l’auteur se révèle quelque peu antimoderne : vitaliste, tenant d’une vision du monde intrinsèquement organique, tournant le dos au naturalisme, attiré par les Mystères, proche de l’hindouisme – une sorte d’animiste, attentif, tel un Grec de haute époque, à l’intelligence des fleurs et à la vie des abeilles. L’intuition, chez lui, précède le savoir pour le fonder.

N’a-t-il pas fasciné Gracq et Rilke, Artaud et Pessoa, ce voyant qui plaignait « l’homme qui n’a pas de ténèbres en lui » ? L’obsession du silence (« la parole est du temps, le silence de l’éternité »), la passion du mystère (« Vivre à l’affût de son dieu, car Dieu se cache, mais ses ruses, une fois qu’on les a reconnues, semblent si souriantes et si simples ») caractérisent Maeterlinck, pour qui notre âme ne serait qu’une « chambre de Barbe-Bleue à ne pas ouvrir ». Un géant, qu’Yves Namur, dans une présentation aussi fine qu’érudite, offre à notre attention.