La lecture de Myriam Aït-Sidhoum

Extraits d’un article publié dans les Dernières Nouvelles d’Alsace le 17 avril 2022
La relation personnelle du colmarien Maurice Betz à l’immense poète allemand Rainer Maria Rilke a donné lieu à de passionnants échanges réédités par les Editions Arfuyen. En prime, un court récit de Camille Schneider qui accompagna Rilke quelques jours en Alsace.
En 1915, le colmarien Maurice Betz (1898-1946) a 17 ans lorsqu’il lit pour la première fois Rainer Maria Rilke. Une révélation. A l’époque, il est en Suisse et un an plus tard, il s’engage dans l’armée française. Le Livre d’images, du poète allemand, ne le quittera pas de toute la guerre, ou presque. […]
Les Éditions Arfuyen, rééditent pour la première fois depuis 1936 ce texte, avec un autre titre, Conversations avec Rainer Maria Rilke. Il rejoint la riche collection Les Vies imaginaires.
En janvier 1923, Maurice Betz, désormais établi à Paris, écrit à Rilke pour lui exprimer son souhaite de traduire Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, en quelque sorte double littéraire de l’auteur, paru en 1910 – le livre est né des pérégrinations de Rilke dans Paris où il passe près de douze ans. Il y rencontra celle qui devient son épouse, Clara Weshoff (1878-1954), sculptrice, élève d’Auguste Rodin (1840-1917), dont il sera secrétaire. Il se lie, entre autres, avec le poète belge Emile Verhaeren (1855-1916) – la liste de ses illustres amis est bien trop longue pour ici la donner…
Rainer Maria Rilke parle très bien le français, il s’y essaye même dans des écrits. Maurice Betz, né à Colmar où il demeure jusqu’en 1915, maîtrise évidemment l’allemand. Commence entre eux un dialogue qui ne cessera qu’à la mort de Rainer Maria Rilke – ce dernier vit alors dans le Valais suisse, au château de Muzot-sur-Sierre. Malade, il voyage cependant encore, entre ses séjours en sanatorium. Il visite ses amis et se rend notamment à Paris, où il revient en quelque sorte sur les traces de son Malte.
Alors qu’ils se sont enfin rencontrés « en vrai » au mois de janvier 1925, de longs mois durant, Rainer Maria Rilke se rend tous les matins, entre 10 et 11 h, à l’appartement où vivent Maurice Betz et son épouse, au cinquième étage. Assis à une petite table de jeu, chacun ayant vu sur le jardin du Luxembourg, qu’affectionne particulièrement Rilke, ils travaillent ensemble à la traduction des Cahiers de Malte qui sera enfin publiée en 1926 – d’autres traductions suivront.
Dans ce long travail de patience s’exprime toute la rigueur du poète. S’il peut laisser libre cours à un imaginaire fécont, parfois tortueux, son travail est aussi exigeant que précis. On peut y voir un épisode pour Maurice Betz, qui en 1931, sera le premier traducteur français de la Montagne magique de Thomas Mann, ou encore, en 1936, de Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche. […]
Anne et Gérard Pfister, les éditeurs, ont ajouté à ces Conversations un texte de Camille Schneider (1900-1978). L’hommr de lettres alsaciens raconte comment, lors d’une visite parisienne à son ami Maurice Betz, en 1925, il rencontre par hasard Rilke. Ce dernier lui demande de l’accompagner en Alsace le soir même sur les traces de sa jeunesse, en quelque sorte. C’est en effet à Strasbourg qu’a été édité son premier recueil par les éditeurs Kattendit, rappelle Gérard Pfister. Les voilà donc dans le train Paris-Strasbourg, à simplement parler de la pluie qui tombe, puis en pèlerinage à la cathédrale et devant le seul autre monument aux yeux de Rilke qui vaut le déplacement, une fontaine aujourd’hui disparue.
Après un détour par Molsheim, ils arrivent à Colmar. Rilke médite devant le retable d’Issenheim : « Le siècle figé dans une œuvre d’art se transforme chaque fois qu’une ombre humaine passe devant eelle et en prend possession dans son âme » – propos de Rilke rapportés par Schneider. Ce texte remet en lumière le lien de Rainer Maria Rilke à l’Alsace.
Tout comme une succincte biographie de Maurice Betz, par son cousin Jacques Betz, en annexe, redit son fort attachement à sa région natale. Il y revient sa vie durant, y compris pour écrire, et lui donnait avant l’heure une dimension européenne. Ce lien demeure vivant au travers du prix Marurice Betz, créé à l’initiative de sa veuve et porté par l’Académie d’Alsace.