La lecture d’Alain Roussel

Extraits de l’article sur La Ballade des hommes-nuages publié sur le site En Attendant Nadeau le 27 avril 2022
Comme toujours chez Michèle Finck, la poésie ne saurait être enfermée dans le cadre étroit d’un genre, d’une forme et même d’un art. Aussi, dans ce nouveau livre, les poèmes alterneront avec la prose, et l’émotion poétique, intensément vécue et personnalisée, pourra-t-elle jaillir d’un film (Wenders, Angelopoulos, Bergman), d’un opéra (Schönberg, Alban Berg), d’un tableau tel « le Songe de Jacob » revisité par différents peintres (Raphaël, Ribera, Tiepolo, William Blake, Chagall) et de la musique, celle-ci présente dans la trame même de l’écriture, comme un rythme de fond qui ressemble à celui de la mer.
Ce journal-poème, comme elle le nomme, a des accents autobiographiques. Certes, il ne s’agit pas ici de relater chronologiquement sa propre histoire, mais d’exprimer des moments de l’existence à forte charge subjective, de ceux qui forgent une vie ou dont on ne se remet pas : une autobiographie de l’âme. C’est aussi, et surtout, une lettre d’amour à l’amant interné en psychiatrie qu’elle désigne sous le nom de Om. Ce nom n’est pas sans résonance particulière. Phonétiquement, c’est homme, mais aussi, dans la tradition de l’hindouisme notamment, Om est le souffle primordial, un son absolu, à la fois créateur et destructeur de l’univers, porteur de vie et de mort, un son imprononçable dont la voix humaine ne peut offrir qu’une diction approchée. […]
La construction du livre adopte, mais en position verticale et en accéléré, le rythme musical des marées. La première partie, intitulée « catabase » est une descente vertigineuse dans la propre intériorité de l’écrivaine habitée par ses souvenirs d’enfance et confrontée à la folie de Om (dont les visites à l’hôpital psychiatrique qu’elle consigne dans un carnet), vers ce qu’elle appelle la lumière d’en bas. La deuxième, « anabase », est une montée vers la lumière d’en haut, à la recherche du mot qui sauve, celui qui aurait pouvoir de guérir celui qu’elle aime. Une autre partie, « catanabase », est, comme son nom inventé l’indique, ce double mouvement simultané de montée et de descente où les contraires tentent de fusionner, par la poésie – il est important de le préciser –, dans son corps et son esprit.
« La Ballade des hommes-nuages », ces hommes qui combattent aux frontières de la folie, est un cri d’amour. Loin d’idéaliser la folie comme s’y complaît une certaine littérature, même si elle peut engendrer des œuvres singulières, Michèle Finck ne cache rien des souffrances qu’elle inflige, le corps défait par les neuroleptiques, la toux à en vomir, le cerveau à vif, le crâne scalpé de la fiction des normes, des conventions. […]