Le texte impossible

suivi de Le vent effacera mes traces

La collection Les Vies imaginaires se consacre aux textes appartenant à la vaste zone intermédiaire entre autobiographie et création. Le texte impossible, d’Alain Roussel, se situe précisément à cette jonction de l’autobiographie et de la création, l’une et l’autre se nourrissant mutuellement sans pouvoir jamais coïncider.

Et c’est cette impossibilité même de coïncider jamais avec le texte qui fait écrire encore et toujours : « Le texte impossible, je ne l’écris pas réellement, je vois bien que je ne peux l’écrire, qu’il est condamné à battre de l’aile contre la vitre de la vie quotidienne sans pouvoir la briser. » On croit pouvoir rendre compte du réel, en faire un portrait fidèle et exact. On ne fait que créer une autre réalité parallèle à la première et qui jamais ne la rejoint.

Le texte impossible ne pouvait être écrit que dans la lumière provençale. L’auteur arrive à Arles début septembre 1974. Il ne connaissait pas cette ville. Qu’il guette de sa fenêtre, dans le lointain, l’abbaye de Montmajour et les Alpilles, qu’il arpente les rues en dédale ou longe le Rhône, tout l’appelle. Il ressent comme un irrésistible besoin d’écrire. Ce qui se passe en lui, il ne le sait pas vraiment. Il y a ce tumulte intérieur, ce tourbillon de mots qui ne demande qu’à être canalisé dans des phrases.

Mais qui parle ? Est-ce lui ou un autre qu’il porte en lui depuis toujours sans le savoir ? Est-ce la pensée, dans sa part inconnue, qui cherche à prendre ancrage ? Est-ce la ville qui, à travers lui, cherche une voix pour se dire ? Et puis, en fil d’Ariane, il y a cette femme mystérieuse dont tout le livre est la quête, la femme avec laquelle il vit un amour impossible – ce grand mutisme blanc qui est le sien – et qu’il cherche à réinventer avec les mots dans les femmes qu’il croise ? Mais que peut la parole quand l’amour se meurt ?

Le texte impossible a d’abord été écrit directement sur stencil, donc sans possibilité de correction, dans une sorte d’euphorie. Imprimé sous cette forme très rudimentaire, tiré à quelques exemplaires, il l’enverra à quelques personnes, poètes et écrivains, dont il devra chercher parfois l’adresse dans l’annuaire. À sa grande surprise, les réponses affluèrent, toutes élogieuses : Roland Barthes, Adrien Dax, René Nelli, Henri Chopin (la poésie sonore), José Pierre, Jacques Lepage, Robert Lebel… Gherasim Luca lui enverra son premier disque artisanal, sur support souple, «Passionnément », avec une dédicace. Publié en 1980 d’une façon très confidentielle par « inactualité de l’orage », il connaît un accueil similaire, avec les réponses de Joyce Mansour, Vincent Bounoure, Jean-Michel Goutier notamment.

Cette nouvelle édition du Texte impossible a été entièrement revue, sans trahir le texte, et en ajoutant d’autres textes-poèmes, de nature souvent autobiographique, qui viennent apporter un éclairage supplémentaire, indispensable.

  Coll. Les Vies imaginaires – 2023 – 108 p – ISBN 978-2-845-90353-1 – 13,5 €