
La lecture de Jean-Marie Corbusier
Extraits d’un article paru dans Le Journal des poètes, 4/2022
Lettres d’une politesse exquise, où le lecteur sent que les mots ne sont pas choisis mais arrivent naturellement de la plume au papier. C’est tout Marcel Proust que l’on retrouve dans ces lettres, avec de petites différences quant à ses romans. Le même balancement de phrases, les mêmes mots à peine appuyés sur la page, la même délicatesse à raconter le vécu, le même retrait face à l’événement, le même pouvoir d’évocation où évidence et mystère se partagent le récit.
Ici, Marcel Proust semble plus naturel, plus directement humain, son écriture est moins composée, plus proche d’une vie terrestre. La palpitation de la phrase s’est apaisée. Même le temps de ces lettres n’est pas celui de l’œuvre. Ce n’est plus la quatrième dimension, le temps n’est plus senti comme extérieur à la vie, celui qui est regardé, éprouvé de face comme une chose placée devant soi. Le temps n’est plus recherché, il est effacé, dissous, partie intégrante de l’individu. Il y a une recherche de la qualité de vie à travers la qualité du dire, malgré son état de santé déficient dont il ne cache pas la réalité. Il tente d’éveiller chez son correspondant, le plus grand rapprochement possible, rappelant des souvenirs communs, ménageant toute susceptibilité, mettant en évidence des qualités tout en maintenant une distance qui exclut toute familiarité. C’est la mesure qui prime. […]
Dans ces lettres à Bibesco, il y a une véritable complicité qui se ressent non seulement par le tutoiement mais par une allure générale différente des lettres adressées aux autres. Moins de préciosité, le langage n’y est plus cette mise à distance, cet écart que l’extrême politesse maintient. Ce rapprochement permet non seulement la familiarité, mais une confidence plus appuyée, plus directe. À certains moments, on ressent un rapprochement qui est plus qu’une amitié. Proust affirme son identité, sa différence face à cet ami contre lequel parfois il s’oppose. Ici, il est lui-même et non cet autre dont les romans parfois témoignent. […]
C’est l’appel d’une présence qui réconforte. Des pardonne-moi, des je m’excuse, parsèment ces lettres, expressions qui ne sont pas de politesse mais d’amitié, qui manifestent une volonté de plaire et de ne pas perdre une précieuse correspondance entre deux personnes. À travers toutes ces lettres, nous découvrons le monde de Proust, son mal- être, ses désirs, son emploi du temps mais aussi toute une part de sa vie matérielle et intellectuelle, ses souffrances, sa vie littéraire aussi. Tout au long de ces pages, c’est le rappel d’une affection, d’une complicité, d’un échange qui ne se démentiront pas. Peut-être, dans ces lettres, y a-t-il un réel désir de vivre que l’œuvre occulte. En fin de volume, le lecteur trouve deux notes biographies au sujet de Bibesco et de Proust.