Sur « Les Aurores boréales »

La lecture de Pierre Tanguy

Extraits d’un article sur Les Aurore boréales de G. W. Russell paru sur le site Bretagne actuelle  le 24 mars 2023

Écrivain, peintre, visionnaire : l’Irlandais George William Russel (1867-1935), né dans le comté d’Armagh, ami du grand poète irlandais Yeats, n’a pas connu la postérité de celui-ci. Sans doute faut-il l’expliquer par le caractère insolite de sa personnalité. Un livre regroupant ses écrits ou ceux d’auteurs qui l’ont connu permet de mieux comprendre ses ressorts créatifs.

L’expérience mystique qui le caractérise a sans doute fait oublier qu’il fut un homme très engagé dans le mouvement nationaliste irlandais (le héros fondateur de l’Irlande, Eamon de Valera, assista à ses obsèques) mais aussi dans le mouvement coopératif agricole. On le voit, une personnalité très éclectique. Sans compter qu’il était végétarien, qu’il prenait le parti des femmes en demandant qu’on leur accorde le droit de vote, qu’il prônait l’action non-violente et qu’il cultivait une forme d’écologie avant l’heure en soulignant dans ses textes que « nous faisons partie de la terre ».

Visionnaire à coup sûr, en avance sur temps. Mais c’est d’abord un homme qui a cherché à trouver une explication à ses visions. Cette quête l’a conduit vers la théosophie et vers les cercles diffusant cette idéologie en Irlande. Il s’est également passionné pour la pensée hindoue telle qu’elle s’exprime dans les Upanishads ou la Bhagavad Gîta. Il s’est abreuvé aux textes mystiques de toutes les religions […] 

« Ses écrits sont comme sa peinture,  note Marie-France de Palacio dans la riche introduction, on peut les lire sans posséder la clef de tous les symboles », note Marie-France de Palacio. On y trouve des rêves éveillés ou des transcriptions de promenades oniriques. Dans le texte qui donne le titre à son livre, AE raconte : « Je m’éveillai de mon sommeil en un cri. Je fus précipité hors du grand abîme et chassé de l’obscurité […] Je me dirigeai à grande vitesse vers le nord, des eaux sombres s’écoulant sous moi et des étoiles accompagnant mon vol. Puis un rayonnement illumina les cieux, les pics et les grottes de glace, et je vis les Aurores Boréales ».

Une pensée sous-tend en réalité la démarche de l’auteur irlandais : « Je suis persuadé, écrit-il, que l’âge d’or nous environne et que nous le pouvons, si nous le voulons, dissiper cette opacité et avoir encore une fois la vision de l’antique beauté ». C’est cette quête d’une forme d’âge d’or (Ce paradis dispersé sur toute la  terre dont parle le poète Novalis) qui a pu séduire, un moment, le jeune poète Philippe Jaccottet (il le raconte dans son livre La promenade sous les arbres) mais il a pris très vite ses distances avec Russell car AE, écrit-il, « ne questionnait pas réellement le monde mais volait vers un monde « supérieur » et ce monde avait tous les défauts de la sur-nature ».

Ce livre n’est pas seulement un récit de ses visions. Russell pratiquait aussi l’aphorisme, l’une de ses formes littéraires préférées : « Dans la vie, l’homme de cœur et de mérite peut être reçu dans la meilleure société, même s’il ne prend pas soin de sa toilette ou a une apparence négligée. Rien de tel en littérature. Les gardes du palais sont snobs et une pensée de la plus grande valeur ne sera pas reçue avec respect si sa robe ne convient pas ». Russell, lui,  était profondément un homme de cœur, désintéressé, altruiste. Tous les gens qui l’ont rencontré l’ont souligné. « Sa gentillesse envers les jeunes écrivains était proverbiale », raconte, dans un texte publié dans ce livre, le poète irlandais Monk Gibbon (1896-1987). […]