Préface de Jean-Claude Walter
Cette année 2013 marque le centenaire de la naissance de Jean-Paul de Dadelsen (1913, Strasbourg – 1957, Zurich), le « Claudel protestant », a-t-on dit, « le plus grand poète protestant depuis Agrippa d’Aubigné ». En tout cas le plus grand poète alsacien du XXe siècle, largement reconnu par ses pairs puisque aujourd’hui disponible en Poésie-Gallimard, et cependant fort méconnu du grand public. Comme pour Mambrino, sa filiation profondément spirituelle l’explique malheureusement sans doute en grande part. Il ne fait pas bon être prophète en un temps de désarroi moral et spirituel ! Jean-Paul de Dadelsen est une personnalité hors du commun, inclassable, dérangeante.
Homme d’action comme Malraux ou Gary, Dadelsen a marqué son époque. Passé en Angleterre en 1942, il s’est engagé dans les Forces Françaises Libres. Ami de Camus, il fut le correspondant de Combat à Londres, tint des chroniques à la BBC de 1946 à 1949. Il travailla avec Denis de Rougemont à Genève et Jean Monnet à Luxembourg. Un jour, il présenta un de ses condisciples, Georges Pompidou, au Général de Gaulle, qui ne le connaissait pas…
Poète, Dadelsen est unique dans le paysage intellectuel français. Au moment de sa mort (d’une tumeur au cerveau) à 44 ans, il préparait un grand cycle poétique, Jonas. Ne restent que des fragments d’un ouvrage qui, même inachevé, constitue cependant une œuvre majeure. Jonas a paru à titre posthume en 1962 chez Gallimard. Les Éditions Arfuyen publieront en avril un volume d’inédits, accompagnés d’une étude littéraire approfondie et d’une riche documentation biographique. Ainsi existeront en tout trois ouvrages de ou sur Dadelsen : le Jonas en Poésie-Gallimard, la présente lecture spirituelle par Évelyne Frank (Arfuyen) et le volume d’inédits à paraître en avril (Arfuyen).
« Ombre / qui regardes par-dessus mon épaule / que puis-je faire pour toi ? […] / Ombre, que puis-je pour toi ? / Avec mes yeux bornés, mes yeux vivants, / avec mes mains obtuses, vivantes, / avec ce corps, avec ce temps qui m’est laissé, / Ombre, veux-tu que je regarde / pour toi / ces visages, ces paysages / pour toi / ces fleurs, ces cheveux, ces choses ? // veux-tu que j’essaie / avec toi / de soulever un peu du lourd fardeau accumulé ? » Il y a aussi ces derniers vers de l’ultime poème, Pâques 1957 : « Cette morne veillée durera-t-elle longtemps ? » Une tonalité grave, spirituelle. Placée sous le signe de Bach, l’œuvre est tout entière la méditation d’un moderne Job ou Qohélet. « On vivra, écrit-il / Longtemps. Patiemment. Sans protestations. / On vivra parce qu’il faut vivre, parce qu’il faut / faire ce que l’on est né pour faire. / On ne cherchera plus à fuir. Il n’y aura pas / de fuite possible, véritable. »
Mais il est une autre inspiration très forte chez Dadelsen, celle des mystiques rhénans, Eckhart et Tauler : « Tu fais le vide en moi, écrit Dadelsen. Mais cet espace qu’en moi tu creuses, toujours plus vacant, plus sonore, / Pour quel Maître, pour quelle Voix ? » Cette présence de celui « qui de ses pouces m’ouvre comme une quetsche mûre », de celui qui travaille dans les circonvolutions du cerveau pour le griser comme une noix, revient de manière obsessionnelle et ne peut manquer d’évoquer ce Dieu pour qui il faut faire le vide, comme le dit le Strasbourgeois Tauler dans ses sermons.
Coll. Les Carnets spirituels – 2013 – ISBN 978-2-845-90181-0 – 13,5 €