
La lecture de Christine Durif-Bruckert
Extraits de l’article sur Dis-moi quelque chose paru sur le site Recours au poème le 6 juin 2021
Les 115 chants que nous donne à lire le poète Yves Namur, l’une des grandes voix poétiques de la poésie belge, « Dis-moi quelque chose », suivent le cours des saisons. C’est musical, comme un ensemble incantatoire, profond comme un chemin qui nous emmène à travers les épreuves de vie, les plus ordinaires comme les plus tumultueuses : la profondeur des colères, nos tristesses et nos brûlures, Quand le ciel se fait terrible / Quand l’amour oublie / Qu’il fut roi » (chant 30), ou encore lorsque l’absence est longue (chant 18). […]
Ces poèmes, par leur succession entêtée et inexorable, tissent le fil des insuffisances, et, dans le recueillement de l’écriture forment ensemble une marche méditative d’une lucidité vertigineuse qui cherche à pénétrer le réel, ses complexités et ses mouvements : Dis-moi quelque chose / Et nous parlerons enfin du réel / De ce que sont vraiment les oiseaux, les chevaux en pleine course / Les pierres tombées ou la pluie / Et aussi le silence des carapaces (112).
A vrai dire ces magnifiques implorations ont la puissance du désir, un désir de la présence, de se rendre présent au monde, au silence, dans la profondeur inattendue de la rencontre qui fondamentalement est celle de l’ouverture : quelque chose / Qui réveille la ruche obscure / Entrouvre portes et fenêtres (69), pour accueillir La main du passant /s es questions, ses fausses réponses (22). […]
Yves Namur nous dit que l’œuvre poétique n’a pas d’autres raisons, pas d’autres objets que ce dénuement, que la libération des contraintes inutiles, des piètres agitations, des agrippements et de tous ces « trop » encombrants qui se voudraient garants de la plénitude, pourtant plus aveuglants que le vide lui-même. Dis-moi quelque chose / De l’ordre du peu du simple / Ou de l’invisible / mais quelque chose qui éclaire (47). Même si cela ne sert peut-être à rien si ce n’est à vivre, Et que la nuit danse de plus belle (56).
C’est par la voie d’un certain dessaisissement que se redresse l’être, que s’ouvre l’espace d’Une phrase légère / Ou même (d’)un mot ordinaire (70), un mot presque apeuré que le poète tente d’approcher, Qui à lui seul pourrait ouvrir/Le silence les regards noueux / Et les portes de la fragilité (64). Un mot délicat et si fragile / Qu’on se demanderait / S’il faut vraiment le prononcer / Ou simplement le regarder (110). Cette voie laisse venir le poème inattendu (51) et entrevoir ce qui sera (87). […]
La poésie d’Yves Namur murmure, ne force pas la voix, ne rumine pas l’amertume. Mais elle laisse venir en une pensée rêvante errante, ce léger tremblement qu’on devine / Lorsque le matin s’invite (8). Elle s’inspire du souffle odorant qui sort des choses, circule entre elles, qui a le goût du fruit mur, et de l’eau claire, et ce grand pouvoir de creuser l’humain jusqu’au centre de Nulle Part / là où va le cœur obscur / et le poème nu qui n’en finit pas / de venir à toi, à moi, en nous comme il l’écrivait avec tellement d’intensité dans Creuse-nous.
Son écriture est singulière, vivante. En parcourant le monde de l’humain, elle en désigne les forces noires, les fuites et Ouvertures. Une écriture qui va dans les profondeurs de l’obscur et vole comme l’oiseau d’un poème à l’autre, vers ce retour perpétuel de la lumière.
Le sens se glisse dans le flux et le lent recommencement des cycles de l’existence, se lie à la substance du monde, aux éléments qui nous perpétuent et nous veillent, ainsi la feuille, le merle, la pluie et l’ombre, qui font le corps et lui donnent ses plus belles vibrations, comme des sensations présentes à l’intérieur de soi. […]