
La lecture de Pierre Tanguy
Extraits d’un article sur le Journal de Baden, de Nicolas Dieterlé, paru dans Diérèse, n° 81, été 2021
Poèmes, fragments, aphorismes, méditations et même récits de rêves : l’œuvre de Nicolas Dieterlé (1963-2000) cultive avec bonheur le mélange des genres, comme le confirme ce Journal de Baden. Avec toujours, en toile de fond, les « bêtes venimeuses de l’anxiété » ou « la fine épine de la douleur » que le poète combat par la seule force des mots. […]
Des mots puisés à la riche lumière du présent et de tous ces oiseaux qui deviennent, sous sa plume, des messagers de l’invisible. « Un oiseau file entre les arbres. Ô cœur vivant, cœur de hasard, cœur de certitude ». Cet oiseau est peut-être celui qui pépie comme l’oiseau-mouche d’un de ses précédents livres (Arfuyen, 2008) mais plus sûrement, ici, le faucon ou l’épervier, le goéland ou la mouette, le héron ou le pivert, retrouvés à tour de rôle au fil des pages. « Un seul oiseau passant dans le ciel immense donne à ce ciel son centre, sa maison ».
Ainsi va Nicolas Dieterlé sous des cieux incertains, souvent couleur d’encre, « rêveur solitaire seul au milieu d’une forêt, sur une plage blonde, au flanc d’une haute colline ». Mais le poète, contrairement aux apparences, ne se retire pas du monde. Il est là, comme l’écrit Yves Leclair dans la préface, pour dire « la vraie vie qui danse au milieu de notre tohu-bohu ».
Oui, Nicolas Dieterlé est bien là « parmi les bris de la matière » mais le voilà, comme il le dit lui-même, saisi par « une force inouïe, mais légère, transparente, infiniment paisible ». Rêve ? Hallucination ? Transe ? Lecture mystique du monde à coup sûr à la manière d’Angelus Silesius, qu’il cite à propos de sa rose « sans pourquoi ». Cette rose, nous dit Dieterlé, est « semblable à un joyau enchâssé dans un écrin invisible (…) Sans pourquoi est le nom de cet écrin invisible ».
La parenté avec les romantiques allemands, à commencer par Novalis, saute également aux yeux quand il évoque « le royaume de la vraie ténèbre » dans laquelle on pénètre à la perte d’un être aimé. « Au sommet de la douleur se disloquent et s’effacent les apparences grises, comme un écran crevé par des lances et se dispersant en lambeaux sur le sol ». […]
L’occasion pour lui de définir – poétiquement – une poésie à son goût. Elle est, dit-il, « colonne qu’un feu très doux embrase à son sommet pour avertir et signaler ». Elle est « ruche et abeille inquiète ». Elle est « comme un puits au milieu d’un champ ». Et il ajoute avec des intonations qu’on connaissait chez Rilke et Max Jacob s’adressant à de jeunes poètes : « Il ne faut pas chercher à faire de la poésie. Tout le secret est là. Sois dans la poésie comme dans une eau et les bulles-poèmes s’arrondiront à la surface ». […]