Sur « Ainsi parlait Montaigne »

La lecture de Jean-Marie Corbusier

Extraits de l’article paru dans le Journal des poètes, 2 / 22

Ce livre au sujet de Montaigne est un rajeunissement, je dirais aussi une mise de la parole au goût du jour, de son évidence, de son essentiel sans ajout. Dans l’introduction, Quand M. de Montaigne a lâché sa baguette, l’auteur nous donne une biographie mais surtout au sujet des voyages effectués par Montaigne, des lieux et des personnes visités.

Lire dans le texte de cet auteur est truculent et jouissif, mais certains mots sans l’aide d’un glossaire restent difficiles à comprendre. Comment revenir à Montaigne débarrassé de tout ce que les critiques littéraires en ont dit, de toutes ces phrases mises en exergue par des lecteurs autres que soi ?

On a l’impression, dans ce livre de Gérard Pfister, de relire un Montaigne à l’air libre, d’y respirer à son rythme et non pas à celui des autres. Montaigne dépoussiéré, allégé et brillant, sorti d’une gangue et de sa biographie encombrante et imposée. Enfin Montaigne au-dessus de lui, ayant à cheval traversé des siècles pour nous apporter l’idée de bien-être, du désir de vivre, d’accepter l’autre dans sa différence… bref de tout son humanisme. […]

De l’air, de la plénitude, de l’espace ! C’est ce que nous propose le nouveau titre de la collection : Ainsi parlait. Les précédents ouvrages ont le même effet : décaper, épurer, rendre lisible et vivable un autre état des lieux, rapprocher lecteurs et écrivains par l’essentiel de leurs écrits. […]

La nuit amère

Dix suites composent ce livre : « Creuse-nous », « Ce que disent peut-être les mains », « Quinze traces à peine visibles », « Les feuilles le savent bien », « Voyelles pour Anise », « Tombeau pour la unième nuit », « Sept ou la face cachée du dé », « Des poèmes que les oiseaux ont bus », « Une trace scintille dans le vide », « Des poèmes émiettés ».

Les dédicaces de ces différences suites précisent le paysage mental dans lequel elles se situent : Paul Celan, Roberto Juarroz, Anise Koltz, Salah Stétié. Une galaxie de poètes venus de cultures très différentes, que caractérisent tous pourtant un même souci de l’intensité et de la brièveté.

Les poèmes de ces dix suites s’inscrivent eux aussi dans cette recherche, mais y ajoutent une dimension paradoxale qui apparaît déjà dans leurs titres : celle du jeu. « Sept ou la face cachée du dé », ce titre est révélateur. Car les chiffres ne sont pas que sur les dés, ils sont aussi dans le nombre des traces, dans le nombre des voyelles, dans le nombre des nuits. Et ce ne sont pas seulement les dés qui ont à nous dire leurs secrets, mais les mains, les feuilles, les oiseaux, les traces, les miettes.

Ce secret, nous ne pouvons l’entendre. Le poème multiplie alors les interrogations pour essayer de l’obtenir. Mais les interrogations, on le sait, n’obtien-dront pas de réponses et il n’est d’autre issue que de faire des suppositions : « peut-être » devient alors le mot clé qui ouvre dans le réel l’immensité des possibles. Comme un jeu d’allusions infiniment démultipliées.

C’est ici le 3e livre de l’écrivain belge Yves Namur chez Arfuyen après Dis-moi quelque chose et Ainsi parlait Maurice Maeterlinck tous deux en 2021. Yves Namur est aujourd’hui l’un des grandes voix poétiques de la Belgique. Il a été en 2020 été élu secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique.

Son parcours est singulier puisqu’il a exercé toute sa vie comme médecin généraliste près de Charleroi. Dans le même temps, il a, depuis son premier livre, Soleil à l’échafaud (1971), publié près de 40 ouvrages.

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen  –  2023  –  128 p  – ISBN 978-2-845-90351-7  – 14 €

Sur « Ainsi parlait André Gide »

La lecture de Pierre Tanguy

Extraits d’une article sur Ainsi parlait André Gide paru dans la revue Diérèse, n° 85, automne-hiver 2022

Nous amener à lire André Gide (1869-1951) sous un jour nouveau, avec un œil neuf. C’est la réussite de cet ouvrage de « dits et maximes » du grand écrivain français sélectionnés par le poète Gérard Bocholier dans l’ensemble de son œuvre (romans, journaux…). […] « Je ne suis qu’un petit garçon qui s’amuse, doublé d’un pasteur protestant qui l’ennuie . » André Gide était, à sa manière, un homme des paradoxes. Mais ce qui sous-tend toute son œuvre, c’est son souci permanent de sincérité, une vertu qu’il qualifiait de cardinale parce qu’ « à la racine de toute morale authentique », note Gérard Bocholier.

Cette sincérité on la trouve avant tout dans une œuvre placée sous le signe du naturel et de la vie authentique. « La chose la plus difficile, quand on a commencé d’écrire, c’est d’être sincère », notait Gide dans son journal. « La poésie, cesse de la transférer dans le rêve ; sache la voir dans la réalité, et si elle n’y est pas encore, mets-l’y », écrivait-il encore dans Les Nouvelles Nourritures en 1935. […]

Cette sincérité concerne aussi, bien sûr son homosexualité affichée. À l’heure de MeToo, les opinions de « l’immoraliste » Gide prennent – il faut le dire – un relief particulier. « Songez que dans notre société, dans nos mœurs, écrit Gide, tout prédestine un sexe à l’autre ; tout enseigne l’hétérosexualité, tout y invite, tout y provoque » (…) « La vérité est que cet instinct, que vous appelez contre nature, a toujours existé, à peu près aussi fort, dans tous les temps et toujours et partout – comme tous les appétits naturels.  »

Ce qui fait dire à Gérard Bocholier que « Gide prophétisait les révolutions des mœurs qui agitèrent la seconde moitié du XXe siècle et qui continuent dans notre XXIe siècle ». Pour autant il ne manque pas de relever que la « pédérastie » revendiquée par Gide (on dirait aujourd’hui pédophilie) entraînerait aujourd’hui des conséquences judiciaires.

De l’œuvre de Gide, ici découpée au scalpel, émerge aussi une vision particulière et plus que décapante de la religion. Né dans un milieu protestant, Gide avait pris ses distances avec ses racines (comme il le fera, plus tard, avec le communisme). « Le catholicisme est inadmissible. Le protestantisme est intolérable. Et je me sens profondément chrétien », écrivait-il. Et c’est sur ce thème que la modernité et la sincérité de Gide éclatent aussi au grand jour. […]

Le Psaume des psaumes

Traduit de l’anglais et présenté par Sr Claude-Pierre, op, et Marthe Mensah. BILINGUE

La collection Les Carnets spirituels a publié déjà 4 ouvrages montrant la richesse très méconnue de la tradition mystique anglaise : en 2014 Walter Hilton (1343-1396), en 2017 Julienne de Norwich (1342-1416), en 2019 Richard Jefferies (1848-1897) et en 2020 Thomas Traherne (1636-1674).

Le plus ancien de tous, Bède le Vénérable (672-735) est en Occident l’un des plus grands penseurs du haut Moyen Âge. « Père de l’histoire d’Angleterre », il est aussi le seul Docteur de l’Église qu’ait donné la Grande-Bretagne.

En l’an 802, Alcuin (735-804), conseiller et proche de Charlemagne, offre à un de ses amis un petit livret : « Ce livret, écrit-il, contient le petit psautier attribué au saint prêtre Bède que ce dernier a confectionné en recueillant dans chaque psaume selon la vérité hébraïque les versets qui conviennent à la louange de Dieu et à la prière. »

Comme Alcuin le souligne, Bède utilise non pas la traduction latine du psautier de la Bible grecque, mais la traduction des psaumes réalisée à partir de l’hébreu par saint Jérôme vers l’an 405. Le « petit psautier du saint père Bède » est un seul long psaume recomposé à partir de versets choisis dans l’ensemble des psaumes. Bède exclut les les versets de déploration ou d’appel à la vengeance et au châtiment.

Cet unique texte est le fruit d’une profonde et longue méditation des psaumes par le moine Bède jusqu’à le transformer en un grand chant de louange et d’exultation, comme un Psaume des psaumes.

Ce chef-d’œuvre de la vie monastique est traduit pour la première fois en français par deux spécialistes de la littérature spirituelle anglaise : Marthe Mensah, universitaire, et sœur Claude-Pierre, dominicaine au monastère d’Orbey.

      Coll. Ombre  –  160 p  –  2022  –  ISBN 978-2-845-90339-5  –  14 €

Sur « Ainsi parlait Saint-Pol-Roux »

La lecture d’Alain Roussel

Extraits d’un article paru le 27 juillet 2022 dans En attendant Nadeau

Si l’œuvre de Saint-Pol-Roux n’est pas aujourd’hui totalement oubliée, c’est en grande partie grâce à Gérard Macé, puis à Alistair Whyte et à Jacques Goorma qui apportèrent leur contribution à l’éditeur René Rougerie : ce dernier fit en effet paraitre au fil du temps pas moins de vingt-trois volumes, très largement composés d’inédits. Quatre ans après l’ouvrage de Bruno Geneste et Paul Sanda Saint-Pol-Roux. Le cosmographe des Confins, Ainsi parlait Saint-Pol-Roux devrait inciter les amoureux de la poésie à découvrir ou redécouvrir cet auteur trop méconnu qui participa à la naissance du symbolisme et fut salué en son temps par Paul Valéry, Max Jacob, Victor Segalen et André Breton, entre autres. […]

L’œuvre de Saint-Pol-Roux est insituable. On ne peut la rattacher au symbolisme que sur une courte période, à ses débuts dans la vie littéraire. Car il se montre toujours en décalage avec son époque : « Je me sens le contemporain de gens à venir, c’est à eux que je parle », écrit-il dans une lettre à André Rolland de Renéville. Se faisant une haute idée de la littérature qu’il défend avec magnificence – il est d’ailleurs surnommé ou se fait appeler le « Magnifique » – et enthousiasme, considérant « l’Art comme un sacerdoce », il doit subir maintes critiques et moqueries auxquelles il répondra avec un humour cinglant par un poème en prose aux allures de pamphlet, « Air de trombone à coulisse ». Il est indéniable qu’il incarne avec faste l’esprit baroque par l’audace de ses images – par exemple, il désigne le chant du coq comme « un coquelicot sonore » – qui fait voler en éclats « les vieux clichés ».

L’imagination est donc l’une des clés, essentielle, de son œuvre, mais ce n’est pas la seule. S’il est un visionnaire, le « maître de l’image », il mène aussi toute une réflexion en avance sur son temps sur la poésie, adaptant le concept d’idéoréalisme de la philosophie allemande à la poésie. Si l’influence de Platon et de Plotin est déterminante chez Saint-Pol-Roux, il sait que le monde des idées et le monde des choses sont l’envers et l’endroit d’une même pièce, et il n’a de cesse de chercher des passages de l’un à l’autre – à l’affût des intersignes et des synchronicités –, de « dématérialiser le sensible pour pénétrer l’intelligible » et de cristalliser l’intelligible dans le sensible grâce aux cinq sens et au langage. Il a pu être reconnu comme un précurseur du surréalisme, mais avec une nuance qui mérite d’être soulignée : là où Breton se donne pour objectif d’exprimer « le fonctionnement réel de la pensée » dans une perspective humaine, « le Magnifique » a pour ambition de « possibiliser le divin », ce qui l’inscrit dans une démarche spirituelle, voire mystique.

Dans sa préface, Jacques Goorma, l’un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre de Saint-Pol-Roux, montre bien la volonté du poète de sacraliser les lieux, les choses et les animaux en les baptisant en quelque sorte d’un nouveau nom : « La chaumière de Roscanvel devient à la naissance de sa fille la “Chaumière de Divine”, le manoir de Boultous à la mort de son fils, tué à Verdun en mars 1915, “Le manoir de Cœcilian”. Les personnages de Camaret, le monde familier des animaux (avec la chèvre Espérance, les chattes Vagabonde et Ténèbres, les goélands Éole et Thalassa qui viennent se poser sur la tête de Divine), les rochers qui l’entourent et que le poète contemple depuis son “rêvoir” (une étroite plateforme encastrée dans les rochers et recouverte d’herbe rase et d’où, bravant le vertige, Saint-Pol-Roux contemplait l’immensité écumante autour des Tas de Pois), tous ces éléments sont revalorisés dans son monde, recréés dans le poème de sa vie ».

Goorma nous présente l’homme tel qu’il fut, avec son côté solaire, sa parole ardente, ses affinités, ses rencontres et amitiés (Pierre Mac Orlan, Max Jacob, Victor Segalen, André Breton, Jean Moulin…), sa générosité, sa simplicité, son don de voyance, son humour, son goût de la solitude et son amour de la vie. Goorma apporte de précieux témoignages qui, en plus de son propre regard, viennent éclairer l’œuvre du « mage de Camaret ».

Pétrarque

(1304-1374)

Francesco Petrarca naît le 20 juillet 1304 à Arezzo. Exilé de Florence en 1302, son père, ami de Dante, s’installe à Avignon auprès de la cour pontificale. Pétrarque suit des études de droit à Montpellier, puis Bologne, mais à la mort de son père regagne  Avignon.

Le 6 avril 1327, il rencontre Laure de Noves, épouse d’Hugues de Sade. C’est le début d’une passion sans espoir. En 1330, il fait le choix de la carrière ecclésiastique. Il entre bientôt au service de la famille Colonna.

En 1337 il achète une maison sur les bords de la Sorgue. À partir de 1343, il effectue des missions diplomatiques compliquées. À Vérone, il découvre le manuscrit des lettres de Cicéron. Au printemps 1348, la Grande Peste emporte Laure de Noves.

Après une année à Padoue, il revient dans sa retraite de Vaucluse où il écrit ses lettres familières. En différend avec la cour d’Avignon, il s’installe pour 8 ans (1353-1361) à Milan où il travaille à son Canzoniere et ses Lettres familières. Durant les 5 années vénitiennes (1362-1367), il rédige ses Lettres de vieillesse.

En 1370 la mort du pape Urbain V et l’échec du retour à Rome l’attriste profondément. Il se fait construire une modeste demeure à Arquà, près de Padoue. Jusqu’au bout, il continue d’écrire. Il meurt le 19 juillet 1374, à la veille de son 70e  anniversaire.

OUVRAGES PUBLIÉS AUX ÉDITIONS ARFUYEN

Ainsi parlait Pétrarque

Ivoire

0 revu 3 collection ivoire

11-20. n° 19. LE CHANT ULTIME Trois nouveaux poèmes de la Bhagavad Gîtâ — n° 18. L’ANONYME DE FRANCFORT Le Petit Livre de la Vie Parfaite — n° 17. Rainer Maria RILKE L’Amour de Madeleine (réédité) — n° 16. TROIS UPANISHAD Ishâ, Kena, Katha — n° 15. GERLAC Les Soliloques enflammés avec Dieu — n° 14. THÉRÈSE D’AVILA Cantiques du chemin — n° 13. Khalil GIBRAN Le Livre des processions — n° 12. FIRMICUS MATERNUS, SALLUSTIUS, PORPHYRE Trois dévots païens — n° 11. Maître ECKHART Sur l’humilité (réédité)

1-10. n° 10. DANTE ALIGHIERI Vita Nova — n° 9. Rainer Maria RILKE Le Livre de la Pauvreté et de la Mort (réédité) — n° 8. Jakob BÖHME De la vie au-delà des sens (réédité) — n° 7. Maître ECKHART Le Grain de sénevé (réédité) — n° 6. Jean de FERRIÈRES Le Thrésor des Prières —n° 5. Leonardo SINISGALLI Horror Vacui — n° 4. JACOPONE DA TODI Chants de Pauvreté — n° 3. PROCLUS Hymnes et prières — n° 2. ANGELUS SILESIUS L’Errant chérubinique (réédité) — n° 1. Rainer Maria RILKE La Vie de Marie (réédité)